Edito Foot féminin : un Mondial pour faire changer d'avis Alain Finkielkraut
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Le football féminin prend de l'ampleur. Le premier Ballon d'Or a été remis, les stades se remplissent et même au niveau belge, les Red Flames suscitent un certain engouement. Le Mondial doit confirmer cela.
Les images ont fait sensation en France et, par extension, en Belgique francophone : Alain Finkielkraut, philosophe français célèbre pour ses positions qualifiées de réactionnaires, s'est emporté contre le football féminin, affirmant que "ce n'est pas comme ça" qu'il souhaite voir des femmes. Face à lui, une journaliste mal prise affirmant qu'il a tort, que les Bleues (hôtes du Mondial qui commence aujourd'hui) sont "formidables".
Dialogue de sourds : Finkielkraut ne changera pas d'avis, mais le football féminin doit être pensé autrement qu'à coups de slogans comme "elles sont formidables". L'évolution du football féminin est réelle, mais le chemin encore long vers une reconnaissance et une médiatisation à la hauteur.
#AlainFinkielkraut sur le football féminin : "Ce n'est pas comme ça que j'ai envie de voir des femmes" pic.twitter.com/7M3KGZHbYd
— CNEWS (@CNEWS) 5 juin 2019
Des pas dans le bon sens
Récemment, plusieurs faits vont dans le sens du football féminin : la remise d'un premier Ballon d'Or (initiative que la Belgique a également mise en place via le Soulier d'or féminin), l'intégration de plus en plus généralisée des équipes nationales féminines aux programmes fédéraux, la création de sections féminines au sein de nombreux clubs, grands comme petits. Des millions de spectateurs ont regardé les dernières finales de Coupes du Monde, chaque année bat des records d'audience.
Pourtant, les sceptiques restent sceptiques : en excluant les cas de misogynie bête et méchante, le niveau de jeu est souvent pointé du doigt. Souvent à raison : oui, le football féminin est d'un niveau incomparable au football masculin. Comment en serait-il autrement ?
Se développer d'en bas
Au plus haut niveau tout d'abord, les grandes compétitions sont récentes : la Ligue des Champions féminine ne date que de 2001, la Coupe du Monde féminine que depuis 1991. A titre de comparaison, la première Coupe d'Europe masculine date de 1955, le premier Mondial de 1930. Mais c'est bien "d'en bas" que le football féminin doit se développer.
Pourquoi, chez les hommes, la Chine, par exemple, malgré son réservoir virtuellement inépuisable, n'est-elle pas un pays de football ? Parce que le football naît de la rue, des équipes de jeunes, des U7 qui jouent le dimanche sur de mauvais terrains, des matchs entre gamins dans les cités défavorisées comme dans les cours d'école. Les petits garçons ont, pendant des décennies (plus d'un siècle !) grandi avec un ballon au pied ; les petites filles, elles, commencent à peine à avoir la possibilité de jouer au football dès le plus jeune âge sans être regardées de travers. Cela prendra dix ans, quinze ans pour que les premières générations de filles "biberonnées" au football arrivent à maturité, faisant progressivement monter le niveau naturellement et d'en bas plutôt que d'en haut.
Des stars, des idoles
La création d'un Ballon d'Or féminin permet également, même si cela sera progressif, l'apparition d'un phénomène nécessaire : la starification des footballeuses. Le foot féminin, pour se développer, a besoin de stars, de joueuses charismatiques, prêtes à inspirer des générations. Tessa Wullaert, double Soulier d'Or belge, peut jouer ce rôle chez nous.
Ada Hegerberg, qui a refusé de participer au Mondial pour des raisons d'égalité salariale, doit également incarner ce visage du football féminin ; les Bleues, qui jouent à domicile, doivent montrer l'exemple aux jeunes françaises. Rappelons l'importance, en tennis, de la domination de Justine Henin et Kim Clijsters sur les générations qui ont suivi leurs exploits ; à l'international, sans les Maria Sharapova et Serena Williams, qui peut dire si le tennis féminin connaîtrait aujourd'hui des Naomi Osaka ou Amanda Anisimova ? En golf, masculin cette fois, Tiger Woods est la raison pour laquelle les grands talents d'aujourd'hui ont travaillé leurs gammes, sculpté leur corps comme de vrais pros ... et pour laquelle ils gagnent des millions aujourd'hui - autre point, le marketing, que le foot féminin doit développer, sans cynisme aucun.
Tous ces thèmes, le Mondial 2019, qui commence ce soir, devra permettre par son succès qu'ils soient considérés avec calme, avec respect, avec recul. Sans slogans, sans angélisme, sans vouloir que les femmes soient les mêmes joueuses que les hommes. Mais en espérant qu'un jour, pas trop lointain, Alain Finkielkraut ait envie de les regarder jouer.